"Ce qui était pire que tout, et qui me réduisait à néant, c’était l’indifférence."
« Mathilde ? », c’est ce qu’écrit la mère de l’auteure au dos de la photo de ce bébé, dont elle n'est pas sûre qu'il s'agisse de sa propre fille.
En décryptant ce point d’interrogation de sa plume musicale et poignante, celle-ci adresse aux lectrices et lecteurs, avec le ton subtil qui convient aux choses graves, un message d'espoir : de l’enfer, on peut revenir !
Ce livre est de ceux qui rendent compte avec acuité des mécanismes de l'inceste et du silence qui l'accompagne. Comme la violence conjugale, il traverse les couches sociales. Mais on le voit rarement. Et chaque fois qu’on le découvre dans des milieux aisés et cultivés, on se demande comment il a pu s’installer chez des gens pourtant bien outillés pour repérer et dénoncer les dangers !
Tout se passe derrière le rideau. Polytechnicienne, aujourd’hui psychopraticienne, Mathilde Laguës relate ici avec délicatesse et sensibilité le chemin de la reconstruction. À travers un regard sans restriction sur son histoire, elle décompose le processus qui permet à une famille bourgeoise de grande tradition scientifique de se replier dans le silence et le déni – malgré une dénonciation publique et une décision de justice.
Elle montre surtout comment, grâce à la force des mots qu'elle a posés tout au long de son parcours, tant par oral que par écrit, elle a pu se libérer de la culpabilité et de la honte dans lesquelles tous autour d’elle, au premier rang sa mère, ont voulu la reléguer.
Pour dire l'indicible et entrouvrir les portes de cet univers insensé qui confine à la folie, « Mathilde ? » réunit des textes à l'esthétique multiple et fourmille d'illustrations.
Ce livre est le fruit d’une complicité entre un artiste baroque génial et sa compagne psy, tous deux passionnés par les écrits freudiens. Le beau film de David Teboul en 2019, Freud, un juif sans Dieu, a donné l’impulsion à ce projet. Très émus par la découverte d’un Sigmund Freud passionné, émotif et déchiré par des drames intimes, ils se sont lancés dans la lecture de sa vaste correspondance et y ont découvert des perles, des inspirations et une immense sensibilité.
À ses amis, Freud confiait ses pensées les plus intimes, ses doutes profonds de chercheur, les douleurs qui ont accompagné toute sa vie, tant sur le plan moral, particulièrement à la mort de sa fille et de son petit-fils, que physique. En effet, Freud, entre autres maux, souffrait terriblement d’un cancer de la mâchoire et eut à subir une vingtaine d’opérations durant les quinze dernières années de sa vie, tout en continuant son travail.
Tenir l’élégance de la mise et la droiture de la posture en toutes circonstances, tel était le dictat de la société viennoise à cette époque et c’est le visage sévère du père de la psychanalyse qui prit toute la place.
Les lignes et les dessins de ce livre nous invitent à en découvrir l’étonnante délicatesse, bien éloignée de l’image convenue.